jeudi 30 avril 2020

Assurances santé aux USA, le coût de la vie d'une femme, Ohhelia.

C'était il y a trois semaines. Ces derniers mots se sont ancrés dans sa mémoire. Au cœur d'une situation chaotique, celle de l'épidémie de Covid-19 à New York, l'anesthésiste garde un souvenir précis d'une phrase prononcée par un patient, quelques minutes avant son intubation. Epuisé par la maladie, cet homme était à peine capable de parler, "Et sa première question en évoquant l'intubation a été : 'Qui va payer pour ça ?'" J'étais stupéfait. Il a pu parler au téléphone avec sa femme avant d'être intubé, et je suis sûr que le coût de la procédure était l'un de leurs sujets de conversation.Derrick Smith, anesthésiste new-yorkais à franceinfo
Un moment révélateur de la terrible réalité vécue aux Etats-Unis par 28 millions de personnes privées d'assurance-maladie, près d'un habitant sur dix, et sûrement bien plus depuis l'explosion du chômage outre-Atlantique à cause du coronavirus, écartées des structures de soin. D'autres, testées ou soignées pour le Covid-19, sont aujourd'hui dans l'obligation de payer plusieurs milliers de dollars. Caissiers, chauffeurs, cuisiniers, ouvriers agricoles... aux Etats-Unis, "de nombreux actifs sans assurance ont des métiers qui les exposent davantage au Covid-19", (Kaiser Family). Des métiers essentiels pendant cette crise, et pour lesquels le télétravail est impossible.

Depuis janvier, Kyle est employé d'un entrepôt dans l'Etat de l'Oklahoma. 30 ans, père célibataire, il a commencé à ressentir des symptômes proches du Covid-19 vers la fin du mois de mars. "39,5°C de fièvre, une toux sèche et continue, parfois si violente que je vomissais. Une pression au niveau de la poitrine", relate-t-il à franceinfo. Le 30 mars, il contacte une ligne d'écoute pour être testé. Il doit pour cela voir un médecin, mais n'a pas d'assurance-maladie via son employeur car il travaille depuis moins de trois mois dans l'entrepôt. Les médecins que j'ai contactés refusaient de me voir car je n'étais pas particulièrement à risque, et que je n'avais pas d'assurance. Il a été redirigé vers les urgences, qui l'ont elles-mêmes renvoyé vers des structures déjà contactées! Des centres de soins d'urgence notamment, où le prix du test sans assurance peut atteindre 1 000 dollars. "Je n'avais pas cet argent, je venais de payer toutes mes factures. Au bout d'une semaine, j'ai abandonné l'idée d'être testé. Je me sentais impuissant et en colère." Ses symptômes ont duré deux semaines, avant, heureusement, de disparaître. "J'étais terrifié à l'idée de ne pas savoir si je l'avais ou non, confie-t-il. Et j'étais terrifié à l'idée d'être hospitalisé. Pourquoi ? A cause du coût." Des renoncements de soins parfois mortels.

Médecin urgentiste new-yorkais, Stefan Flores entend régulièrement de telles craintes. "'Est-ce que je vais devoir payer pour ça ?' 'Combien ça va coûter ?' Il y a toujours cette peur, cette angoisse en arrière-plan. Elle est omniprésente", confie-t-il. Personne ne devrait être inquiet à l'idée d'être soigné. Ils ne devraient pas s'inquiéter pour une facture. C'est injuste. Pour aider ces patients sans assurance, certaines cliniques gratuites et centres de santé communautaires leur proposent des soins à bas coût. Dans l'Etat de Washington, un de ces centres, l'International Community Health Services, aide des patients à obtenir une assurance santé. "Nous voyons de plus en plus de gens nouveaux, qui viennent nous voir pour avoir accès à une assurance-maladie", constate Sharissa Tjok, directrice des services de santé communautaires. "Certains viennent de perdre leur emploi, ils n'ont pas d'assurance, inquiets."

Ofelia, sacrifiée pour que son fils n'ait pas à payer
 D'autres retardent une visite à l'hôpital ou refusent même de s'y rendre, faute d'assurance. A Pittsburgh, en Pennsylvanie, Ofelia Rousseva, 78 ans, a cessé de respirer "deux minutes avant l'arrivée de l'ambulance", raconte son fils, Ludmil Velev. Elle pensait qu'il s'agissait d'une simple grippe et ne voulait pas aller à l'hôpital car elle n'avait pas d'assurance". Lui aussi est atteint du Covid-19. Ofelia vivait chez lui, avec sa femme, depuis quelques mois. Elle était venue leur rendre visite depuis la Bulgarie et son assurance-voyage avait expiré un mois plus tôt. Elle savait que le système de santé ici est très compliqué, n'aurait jamais pu payer ces factures et ne voulait pas que je les paye. A plusieurs reprises, elle a refusé d'appeler un hôpital comme lui conseillait son fils. Àgé de 43 ans, il y a été soigné pendant 12 jours, dont 8 sous ventilateur. Même avec une assurance, Ludmil Velev s'attend à devoir verser 1 000 dollars à l'hôpital. Il aurait payé bien plus sans couverture maladie. Sa femme et sa fille sont elles aussi tombées malades. "Je me remets lentement, déclare-t-il, le souffle court. Je suis heureux d'être en vie, avec ma famille. Mais nous avons perdu ma mère."

En principe, les Américains sans assurance devraient pouvoir bénéficier d'une couverture des frais liés au dépistage précise Forbes*. Le Families First Coronavirus Response Act, une loi votée en urgence en mars, permet aux salariés sans assurance de bénéficier de tests gratuits mais aussi aux Etats d'utiliser Medicaid, ce programme d'assurance-maladie dédié aux personnes à faibles revenus, pour financer ces test, et plusieurs centres de dépistage gratuits dans le pays mais depuis le début de l'épidémie, beaucoup de patients ont quand même dû payer pour être dépistés. "Ils doivent ensuite trouver le moyen d'être remboursés", soupire Sharissa Tjok. Et "beaucoup n'ont pas de quoi payer directement" pour un test.
Lori en a fait l'amère expérience. Dépourvue d'assurance, cette jeune femme de 25 ans a fini par accepter d'aller se faire dépister car son gynécologue a insisté. C'était il y a un mois, après une grippe et une bronchite. "J'avais une douleur intense à la poitrine, des difficultés à respirer et j'ai hésité à aller voir un médecin". Elle venait de commencer un nouveau travail et n'avait donc pas d'assurance. "J'étais à une semaine de l'avoir. J'avais trop peur de devoir payer. Lori finit par se rendre aux urgences, où des médecins procèdent à une radio des poumons. Inquiète, elle insiste sur le fait qu'elle n'est pas couverte mais l'hôpital la rassure en lui promettant une aide financière. L'établissement la renvoie chez elle, lui demandant de consulter un médecin dans une semaine si elle ne va pas mieux. Les sympômes persistant, ce dernier lui demande d'être testée pour le Covid-19. "J'étais à un jour d'avoir mon assurance. Mais sur place, on m'a dit que ce serait gratuit." Lori pensait donc qu'elle ne devrait rien verser pour cet acte médical. Elle a réalisé une batterie de tests, sans s'inquiéter. Ce qu'on ne m'a pas dit, c'est que les autres tests faits ce jour-là me coûteraient 300 dollars. Et celui du Covid-19, 132 dollars.
En deux jours − avant même de recevoir ses résultats − la jeune femme reçoit une première facture pour ces examens. Le total, visite aux urgences comprise, est très loin d'être "gratuit" : 2 300 dollars, sans compter la facture du test Covid-19, qui arrivera un mois plus tard. Son résultat est heureusement négatif. Pourtant, Lori s'effondre. Elle n'est pas éligible à l'aide financière promise par l'hôpital, son dernier salaire étant au-dessus du seuil requis. "J'avais à ce moment précis 200 dollars sur mon compte courant et 400 dollars sur mon compte épargne". Une campagne de financement participatif, lancée par une amie sera sa seule issue pour payer. 

Plus de 2 000 dollars pour être testé, et bien plus pour être soigné. Sans assurance, une hospitalisation pour un patient atteint du Covid-19 coûte en moyenne entre 42 486 et 74 310 dollars, d'après une étude de l'organisation indépendante Fair Health. Le magazine Time* relaie par exemple le cas d'une personne sans assurance pour qui la facture de trois visites aux urgences et du test Covid-19, au début de l'épidémie, s'est élevée à 35 000 dollars. Celle-ci s'est inscrite pour bénéficier de Medicaid. Que fera-t-elle si ces frais ne sont pas pris en charge ? Sera-t-elle remboursée ? La promesse a été faite au début du mois. Le 3 avril, la Maison Blanche a déclaré qu'à travers un fonds de 100 milliards de dollars, les hôpitaux seraient remboursés pour l'hospitalisation de patients sans couverture maladie. "Cela devrait réduire les inquiétudes des Américains sans assurance", s'est alors félicité Donald Trump. Mais deux semaines plus tard, le montant exact dédié aux soins des patients sans assurance reste pourtant inconnu, souligne le Huffington Post*. Permettra-t-il de couvrir toutes les hospitalisations ? Rien n'est moins sûr, d'après une estimation de la fondation Kaiser Family* : celle-ci imagine un coût total entre 14 et 42 milliards de dollars, peut-être bien plus en cas de nouvelle vague d'épidémie. Sans compter que cette enveloppe de 100 milliards de dollars peut aussi servir à l'achat de matériel médical, ou à la construction de nouveaux équipements. "Et même si les hôpitaux peuvent utiliser ces fonds pour prendre ces soins en charge, beaucoup d'entre eux ne le font pas", constate pour le moment Carmen Balber, directrice exécutive de Consumer Watchdog, une organisation de défense des consommateurs américains, notamment en matière de santé. "Rien que ces derniers jours, j'ai entendu plusieurs témoignages de personnes recevant d'énormes factures pour des tests et des soins." Dans l'incertitude, certains hôpitaux continuent donc l'envoi de leurs factures, quand d'autres les mettent en pause. Il n'y a aucune directive nationale. A ce stade, rien dans la loi n'oblige les hôpitaux à ne pas facturer pour les patients sans assurance. Carmen Balber, conseille de patienter avant de payer ces factures. "Car en principe, vous ne devriez rien payer si vous êtes sans assurance et soigné pour le Covid-19", insiste-t-elle. "Il y a un manque total d'information, poursuit-elle. Je connais bien notre système de santé, et je ne comprends pas ce que le gouvernement est en train de dire aux hôpitaux. Si cette information n'est pas disponible pour moi, comment le serait-t-elle pour les patients sans assurance ?"

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