samedi 13 novembre 2004

Cyrano de Bergerac à l'envers

"Vingt courriels de solitude ou paranoïa sous le ciel bleu" Viridiana

Solitude et paranoïa en Cévennes ou le mythe de Gury en vingt courriels.

"J'ai peur, peur, peur... des gens, de me faire avoir, "on" ne pense qu'à me plumer, méfiance méfiance"... C'est l'obsession de Gury, vieil instituteur Cévenol replié dans ses montagnes, poète pourtant à ses heures. Il n'est ni particulièrement beau, riche, ou exceptionnellement talentueux et introduit, ne possède aucun entregent -forcément puisque, redoutant l'autre, il se rencogne toujours- et du reste, le sait, le déplore et, modestement, tente de pallier ses insuffisances... mais son obsession l'handicape, l'empêchant d'aller vers l'autre et d'exprimer et de développer ses talents. -Cercle vicieux.- "On" lui en veut, ou plus exactement "on" en veut à quelque minime avantage qu'il possède... Cocasse et pathétique à la fois, il invoque des "gens" sans que l'on sache s'ils existent ou s'ils ne sont que le fruit de ses délires, et des anecdotes toujours identiques. Un petit jardin, un massicot qu'il vient d'acquérir, une fourgonette... cela suscite convoitise et acrimonie, forcément ! Que les soi-disant envieux soient infiniement plus favorisés que lui ne change en rien sa position inébranlable. Il en est sûr, "ils" sont jaloux, c'est ainsi et il doit faire attention, toujours... Touchant et odieux à la fois, naïf et retors en même temps, il vogue dans une existence minima faite de détails saugrenus et de phantasmes puissants. Simple ? Banal ? Non. Car cette propension le fonde paradoxalement à se faire exploiter ! Si bien qu'il n'a pas tout à fait tort lorsqu'il s'en plaint. Son drame est réel: seul donc vulnérable -parce qu'il ne sait pas plus demander qu'offrir- il doit avoir recours dans la vie quotidienne à toutes sortes de "gens" qu'il paye au prix fort... qu'il acquitte sans protester -car il n'est pas réellement avare-. Lui qui refusera un minime service à un voisin dans le besoin et qui, en retour, ne le sollicitera jamais, par contre, paiera sans broncher un prestataire sans scrupules profitant honteusement de sa faiblesse.

 
Un personnage déroutant: fier et humble, poignant et abject, talentueux et pitoyable... C'est le thème de l'essai de Viridiana, qui prend la forme de courriels adressés à Gury qu'elle ne connaît pas -il l'a rencontrée au cours d'un débat poétique mais elle n'en a pas le souvenir et, au début, elle pense même avoir affaire à un autre, un beau gars qui était assis à ses côtés- ... Le personnage l'exaspère et l'émeut aussi... et elle découvre à la fin, sans réelle surprise, son allure sur une photo de son site. C'est un vieux paysan typique, rabougri et amène, souriant et disert. Une image qui, si elle l'avait pressentie au départ, lui aurait parlé immédiatement, mieux que ses courriels. L'habit fait le moine ? En un sens. Notre corps et notre allure nous situent: nous construisons aussi notre apparence. Viridiana, qui avait cru s'adresser à celui qui lui avait demandé son adresse email -Gury ne l'avait pas fait-... petit à petit, se rend compte de sa méprise. Il ne "parlait" pas juste. Elle ne le "voyait" pas ainsi... et elle avait raison. C'est Cyrano de Bergerac à l'envers, en somme.