lundi 13 décembre 2004

Pride and prejudice Jane Austen

"Orgueil et humiliations" ( Pride and prejudice) Jane Austen

Orgueil et blessures
Dans le livre de Jane Austen, ce ne sont pas tant les caractères qui importent mais davantage, en filigrane, la société victorienne dans sa structure même: une société impitoyable aux femmes comme aucune autre ne l'a jamais été, sauf peut-être la société indienne. La trame du roman est simple, et, en dépit des apparences de vaudeville léger, tragique: Mr et Mrs Bennet n'ont que des filles, cinq. Or, la loi ne leur permettant pas d'hériter de la maison familiale où elles ont été élevées, confinées et joyeuses à la fois, à la mort du père, déja âgé, elles seront inéluctablement chassées et la demeure va passer automatiquement à un lointain parent mâle, un vague cousin qui attend sans vergogne "son" héritage, survenant sans être attendu, examinant les meubles etc... Le drame se noue encore plus serré parce que les parents, impécunieux — nous sommes dans un milieu bourgeois relativement éclairé de la campagne anglaise où l'on voisine aisément— les parents donc n'ont pas de dot conséquente à offrir à leurs trop nombresues filles, condition sine qua non d'un mariage convenable. Or, dans ce milieu, il est également hors de question de convoler au dessous de sa condition. Voilà donc les cinq filles réduites à courir le "parti" inespéré qui leur offrira un toit, seulement un toit, et le plus vite possible. Si le père affecte une hautaine condescendance devant le sort de ses filles et les frénétiques recherches de sa femme, Mrs Bennet, en revanche, angoissée, scrute le voisinage, remonte les parentèles mâles, pointe les veuvages inespérés, suppute et intrigue désespérément à temps plein pour sauver ses filles.



A l'époque victorienne, de telles situations étaient le lot quotidien des femmes, vouées à une quasi prostitution matrimoniale, même si Austen a délibérément choisi le genre léger. Sous les caquets, on perçoit les humiliations et l'angoisse. Presque la révolte. Mrs Bennet ne s'interroge pas ou peu sur l'aspect de tel ou tel nouveau voisin, son âge ou ses charges éventuelles d'enfants, son caractère et ses manies, mais seulement sur sa disponibilité matrimoniale immédiate. Si c'est le cas, tout sera mis en œuvre pour l'attirer, le séduire. Ou faire que l'une des filles le ferre. Mais celles-ci, bien élevées, instruites et non dénuées d'humour malgré le tragique de leur situation, sont trop orgueilleuses pour se livrer sans amour, ce qui navre leur mère sans que rien ne soit explicitement dit. Où vont-elles trouver l'oiseau rare se lamente Mrs Bennet devant son mari qui, affalé, lit dans son fauteuil en daignant à peine lever la tête. L'une d'entre elle, la plus jolie, la plus brillante, y parviendra. Quid des autres? Elles seront vouées à une vie de vieille filles cultivées, un peu préceptrices et un peu bonnes d'enfants, recueillies dans des foyers amis qui voudront bien d'elles provisoirement, mais sous condition. Une vie de recluse et de demi servantes. Elles le savent, c'est ce qui va leur advenir, même si Austen laisse un doute sur le finale du roman. Leur légèreté est héroïsme, une danse au dessus du volcan.Comique? Non.